Laboratoire Poison

Après deux résidences au Buda à Kortrijk en mai et en octobre de cette année et une à la Bellone à Bruxelles en septembre, la nouvelle création d'Adeline Rosenstein dans laquelle je suis à nouveau invité à m'occuper de la scénographie a été crée au Théâtre de la Balsamine à Bruxelles en janvier 2019.

"Le projet «Laboratoire Poison» est une recherche sur les façons de représenter les défaillances d’un mouvement de résistance sans décrédibiliser toute résistance.

Il est délicat d’évoquer des erreurs commises dans une lutte sans sembler dire : ça se passe toujours comme ça. Un théâtre qui exposerait les épisodes les moins glorieux d’une lutte semble vouloir montrer du doigt, dénoncer, salir une mémoire déjà trop peu connue. N’est-on pas tenté, dès lors, de passer sous silence certains faits ? Combien le théâtre documentaire supporte-t-il de nuance et de complexité ?

On sait par exemple que le recours au jeu d’acteur et à la contrefaçon, nécessaire à toute résistance, peut se retourner contre le joueur ou la joueuse; à trop faire semblant de collaborer, on peut le devenir. Que ce soit dans la clandestinité ou face à la torture, puis, face à la demande sociale de héros purs et de récits nationaux simples, le libérateur n'est-il pas condamné à la feinte, au silence, à jouer la comédie ? Combien de singerie dans toute bravoure ? Quand est-ce que la feinte devient synonyme de couardise ? Serait-ce la raison pour laquelle il semble si facile de procéder à des purges, après les victoires ? Le fait d'avoir su jouer la comédie "face à l'extrême" ne transforme-t-il pas tout héros en menteur professionnel et donc… en traitre potentiel ?


Le théâtre peut rendre sensibles les nuances entre différents silences : ceux des bourreaux, des collabos, mais des héros aussi. Le laboratoire Poison voudrait être un espace d’observation de la façon dont bascule notre jugement moral sur tel ou tel personnage ou notre appréciation de tel ou tel fait historique documenté :

Je m’informe sur une prison, un détenu, j’observe la violence qui s’exerce sur lui, j’observe sa conduite, là, je l'admire, là, je le plains, là, je veux encore l'excuser mais je ne sais plus trop quoi penser de lui, et là, franchement il me dégoûte, c’est-à-dire que je lui dis, dans ma tête : « tu aurais mieux fait de te tuer, dommage qu’on ne t’aie pas donné de capsules de poison ».

A quoi tient ce basculement, à quels effets, à quels détails ?
Qu’est-ce qui nous fait distribuer le poison?
Qu’est-ce qui nous fait commencer à haïr, cesser de pardonner ?

Ce spectacle se veut à la fois une étude sur un certain type de récits dits factuels et cherche à travers l’évocation des traitres à renouveler notre respect et désir de mouvements résistants."

Adeline Rosenstein, septembre 2018 

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